jeudi 15 octobre 2009

La compensation - Il me poursuit, pourtant il me doit de l’argent


Ai-je une défense ? puis-je opposer ma demande à la sienne ?

Je lui dois, il me doit

Un de vos amis vous a prêté 5,000 $, il y a de cela un an. Vous vous avez vendu à ce même ami, il y a quelques semaines votre ancienne voiture (ou un quelconque autre bien) qui valait 4,500 $. Votre ami vous a réclamé il y a un mois le remboursement du prêt. Vous refusez de le payer parce qu’il ne vous a pas payé un dollar pour l’achat de votre ancienne voiture. Vous vous dites puisqu’il me doit 4,500 $, il doit en tenir compte et je n’ai qu’à lui verser 500 $ et on sera quitte.





En principe, votre raisonnement n’est pas faux. Vous voulez que s’opère ce qu’on appelle la compensation. La compensation est un mécanisme d’extinction des obligations qui est prévue au Code civil du Québec, aux articles 1672 et suivants. En clair, ce que vous réclamez c’est que votre ami compense ou, dit autrement, réduise votre obligation de rembourser 5,000 $ d’un montant de 4,500 $, qui est le montant de son obligation à lui de vous payer cette somme pour l’achat de votre ancienne voiture. Donc, 4,500 $ de votre dette à vous ne lui serait plus dû, serait alors éteinte (extinction d’une obligation).


La compensation selon le Code civil

Voilà ce que dit le Code civil du Québec (C.c.Q.) à ce sujet :

1672 C.c.Q. Lorsque deux personnes se trouvent réciproquement débitrices et créancières l'une de l'autre, les dettes auxquelles elles sont tenues s'éteignent par compensation jusqu'à concurrence de la moindre.
La compensation ne peut être invoquée contre l'État, mais celui-ci peut s'en prévaloir.

1673 C.c.Q. La compensation s'opère de plein droit dès que coexistent des dettes qui sont l'une et l'autre certaines, liquides et exigibles et qui ont pour objet une somme d'argent ou une certaine quantité de biens fongibles de même espèce.

Une partie peut demander la liquidation judiciaire d'une dette afin de l'opposer en compensation.

1674 C.c.Q. La compensation s'opère même si les dettes ne sont pas payables au même lieu, sauf à tenir compte des frais de délivrance, le cas échéant.

1675 C.c.Q. Le délai de grâce accordé pour le paiement de l'une des dettes ne fait pas obstacle à la compensation.


Vous êtes poursuivi

Mais voilà, votre ami et vous n’arrivez pas à vous entendre. Votre ami prétend que votre voiture n’est qu’une vieille minoune qui tombe toujours en panne, contrairement à ce que vous lui aviez affirmé lorsqu’il l’a acheté. Il considère qu’il ne vous doit rien ou beaucoup moins que 4,500 $. Par conséquent, il ne veut pas réduire sa demande de ce montant.

C’est alors que votre ami décide de vous poursuivre : il a présenté une demande contre vous à la cour; autrement dit, il vous a fait signifier une requête introductive d’instance dans laquelle il demande au tribunal de vous condamner à lui verser les 5,000 $. Pouvez-vous demander que le tribunal tienne compte du fait que votre ami, le demandeur, vous doit 4,500 $ à vous le défendeur dans cette cause ?

Ce que vous réclameriez ici du tribunal c’est qu’il opère compensation entre les deux sommes d’argent : qu’il réduise de 4,500 $ le montant que vous devez à votre ami, de sorte qu’il ne vous resterait que 500 $ à lui rembourser.

La réponse serait non dans le cas exposé ci-dessus et cela, pour des considérations de procédures.


La demande reconventionnelle, et non la défense

Si vous aviez à réclamer, vous le défendeur, votre 4,500 $ au demandeur, vous le feriez non pas dans votre défense, mais dans une demande reconventionnelle. Dans une demande reconventionnelle, un défendeur réclame à son tour quelque chose au demandeur. Par exemple, l’entrepreneur qui a effectué des travaux sur ma maison n’a pas fait la moitié de ce qu’il devait faire, et ce qu’il a fait fut si mal fait que j’ai dû payer plus cher quelqu’un d’autre pour faire faire ses travaux : non seulement je ne lui dois pas le plein montant qu’il me réclame, mais c’est lui qui me doit de l’argent. Ici le défendeur en plus de présenter une défense, présente dans la même procédure (dans la défense) une demande reconventionnelle où il réclame quelque chose à son tour au demandeur

Tandis que dans une défense, une défendeur fait valoir un moyen de défense : le défendeur n’a pas fait les travaux ou qu’une partie, il n’a pas fait ce qui devait être fait, où ses travaux furent mal fait, qu’il a déjà payé une partie des travaux, etc. Ici, il ne réclame pas quelque chose, il se défend.


Le Code de procédure civil

C’est dans le Code de procédure civil (C.p.c) que l’on retrouve les limites à réclamer compensation devant un tribunal. En effet, selon l’article 172 de ce code :
172 C.p.c. Le défendeur peut faire valoir par sa défense tous moyens de droit ou de fait qui s'opposent au maintien, total ou partiel, des conclusions de la demande.

Il peut aussi, et dans le même acte, se porter demandeur reconventionnel pour faire valoir contre le demandeur toute réclamation lui résultant de la même source que la demande principale, ou d'une source connexe. Le tribunal reste saisi de la demande reconventionnelle, nonobstant un désistement de la demande principale.

Ce que dit le Code de procédure, c’est qu’un défendeur peut demander compensation si sa réclamation contre le demandeur à la même origine que la réclamation du demandeur.

Autrement dit, il ne suffit pas que les parties (le demandeur et le défendeur) soient les mêmes et que leurs rôles soient inversés (vous deviendriez le demandeur reconventionnel et votre ami le défendeur reconventionnel dans la réclamation de 4,500 $ pour le paiement de la voiture). Il faut que les deux affaires soient liées entre elles. Ainsi, si en échange du prêt de 5,000 $, vous aviez remis alors votre voiture à votre ami en paiement partiel du prêt, là il y aura une même origine ou une source connexe entre les deux affaires : elles seraient toutes les deux liées. Vous auriez pu faire valoir, dans votre défense, qu’il y avait eu paiement partiel du prêt par la vente de la voiture

Dans notre exemple, toutefois, la vente de la voiture à votre ami et survenu des mois après le prêt de 5,000 $ qu’il vous a consenti. Vous ne lui avez pas vendu la voiture parce qu’il vous avait prêté de l’argent. Les deux affaires ne sont pas liées entre elles : il n’y a pas de connexité entre les deux.

Le seul moyen que vous auriez normalement pour récupérer votre argent se serait de poursuivre à votre tour votre ami dans une autre cause.

Cette règle du Code de procédure civil peut se comprendre. Si dans une même cause, deux parties pouvaient entendre tous les griefs et revendications qu’elles pourraient avoir l’une contre l’autre, bon nombre de causes deviendraient ingérables pour un tribunal : tout se mélangerait, les causes deviendrait encore nettement plus longues et plus compliquées, etc.


Les petites créances

Cependant, comme le prêt de votre ami n’est que 5,000 $ et que vous vous ne réclamez que 4,500 $, les deux causes seraient entendues par la division des petites créances de la Cour du Québec. Vous pourriez alors demander que les deux causes soient entendues le même jour devant le même juge. Dans ce cas, le juge, après avoir entendu les deux causes et décidé qu’elle était toutes les deux fondées et justes, pourrait ordonner la compensation et ne vous condamner qu’à payer 500 $ à votre ami.